Witold Bańka a rejoint l’Agence mondiale antidopage (AMA) en tant que nouveau président le jour du Nouvel An de cette année, quelques semaines seulement avant que la pandémie de COVID-19 ne frappe le monde. Dire que l’année a été chargée pour ce jeune homme de 36 ans et pour l’organisation mondiale qu’il dirige serait un euphémisme. Dans cette deuxième partie de l’entretien en deux parties (la première partie peut être retrouvée ici), Bańka évoque les nombreuses mesures prises par l’AMA et les agences antidopage régionales du monde entier pour protéger les athlètes propres pendant la pandémie, les préparatifs des Jeux Olympiques reportés de Tokyo 2020 et le rôle important que les Comités Olympiques Européens (COE) et les comités nationaux olympiques européens peuvent jouer pour éduquer les jeunes athlètes sur les dangers du dopage.
Q: Parlez-nous du groupe d’experts que l’AMA a mis en place pour analyser les leçons de la pandémie de coronavirus.
R: Il est vital que l’AMA continue de fournir un leadership à nos partenaires de la communauté du sport propre pendant la pandémie de la COVID-19. Pour cette raison, un groupe d’experts multidisciplinaires a été formé pour identifier les leçons qui peuvent être tirées de cette période sans précédent et garantir que la communauté mondiale antidopage puisse répondre efficacement à l’avenir à d’éventuelles crises de santé publique similaires. Les restrictions sont levées dans un nombre croissant de pays à travers le monde et, par conséquent, les organisations antidopage [OAD] reprennent leurs programmes de contrôle, en suivant les conseils fournis par l’AMA et les différentes autorités sanitaires. Conformément à l’engagement pris le 6 mai, l’AMA a mis en place un groupe de 10 experts chargé d’analyser les tests stratégiques lequel, entre autres activités, collecte et évalue les commentaires des OAD sur leurs programmes de tests pendant la pandémie de COVID-19. Il est important que nous comprenions pleinement l’impact de la pandémie sur les programmes mondiaux de lutte contre le dopage afin d’identifier les leçons à tirer et les améliorations qui pourraient être apportées au système mondial de lutte contre le dopage si des crises de santé publique similaires devaient survenir à l’avenir. Dans le cadre de cet examen, l’AMA a mené auprès des OAD une enquête afin d’obtenir des informations sur leurs programmes de test et se faire une image globale de l’état des choses. Alors que la situation continue d’évoluer, nous restons prêts à aider les organisations antidopage pour soutenir et surveiller leurs programmes antidopage.
Q: Comment Covid-19 a-t-il affecté le travail de l’AMA et quels changements l’AMA a-t-elle dû apporter à la lumière de la Covid-19?
R: Notre première priorité pendant la pandémie de coronavirus a toujours été la santé et la sécurité des athlètes, du personnel de contrôle du dopage et du grand public. Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait eu une réduction des programmes de test dans de nombreuses régions du monde au cours des derniers mois. Cependant, maintenant que les activités reprennent dans un nombre croissant de pays, il est encourageant de constater que le travail antidopage s’est rapidement intensifié, avec plus de 11 000 échantillons prélevés en juillet et plus de 13 000 en août. Les organisations antidopage doivent être félicitées pour leurs efforts car elles montrent leur engagement envers leurs programmes de dépistage tout en continuant à suivre les conseils des autorités sanitaires.
Là où les programmes de dépistage peuvent reprendre, nous fournissons des directives claires afin que l’intégrité du système puisse être maintenue sans mettre en danger la santé des athlètes, du personnel de prélèvement des échantillons ou de toute personne entrant en contact avec eux. Il est essentiel que le système puisse reprendre à plein rythme le plus rapidement possible dans le monde, une fois les différentes restrictions levées, en fonction des différentes circonstances existantes.
Heureusement, les tests ne sont pas la seule arme dont nous disposons pour protéger le sport propre en ces temps difficiles. En particulier, les enquêtes, le stockage à long terme et la ré-analyse des échantillons ainsi que le passeport biologique de l’athlète sont particulièrement importants. Et nous, la communauté antidopage, nous utilisons pleinement tous ces outils.
De plus, il ne faut pas oublier que la plupart des athlètes sont honnêtes et ils n’essaieraient pas de tricher même s’ils pensaient s’en tirer.
Certe pandémie a démontré la nécessité de nouvelles innovations en matière de lutte contre le dopage. L’AMA sait que pour rendre l’antidopage plus efficace, nous devons constamment innover. Nos travaux, en collaboration avec la communauté antidopage au sens large, dans le secteur de la recherche de nouvelles techniques de prélèvement d’échantillons et d’analyse ont été intensifiés, en particulier dans les domaines de l’analyse de traces de sang séché et de l’intelligence artificielle. Tout en veillant à ce que le processus de consultation approprié se poursuive, nous continuons à développer des applications pratiques pour ces innovations qui devront être juridiquement solides et conformes au Code mondial antidopage et au Standard international associé avant d’entrer en vigueur.
Q: Comment la Covid-19 a-t-elle affecté les préparatifs de l’AMA pour Tokyo 2020, notamment l’ampleur de l’opération prévue?
R: À ce stade, nous continuons à collaborer avec le Comité international olympique (CIO), le Comité international paralympique (IPC) et l’Agence internationale de contrôle (ITA) pour les aider à fournir un contrôle efficace et efficient avant les Jeux ainsi qu’un programme complet pendant les Jeux. Comme d’habitude nous prévoyons d’envoyer une équipe d’observateurs indépendants à Tokyo l’année prochaine. Depuis son lancement en 2000, le programme des observateurs indépendants a contribué à renforcer la confiance des athlètes et du public lors des grands événements sportifs en surveillant et en rendant compte de toutes les phases des processus de contrôle du dopage et de gestion des résultats de manière objective et impartiale. De plus, nous avons l’intention de mener des activités de sensibilisation des athlètes en personne à Tokyo 2020, comme nous le faisons toujours. Les activités de sensibilisation visent à créer une première expérience positive de la lutte contre le dopage, à accroître la visibilité lors d’événements pour améliorer la compréhension et à fournir aux athlètes et au personnel de soutien un moyen de dialoguer avec le personnel des organisations antidopage.
Q: À votre avis, quels sont les plus grands problèmes auxquels l’AMA est actuellement confrontée en Europe? Que peuvent faire les CNO européens, les organisations sportives et les administrateurs pour aider? R: Le défi majeur pour l’Europe réside dans sa principale caractéristique: la diversité. C’est formidable que le continent soit si diversifié, et cela nous donne l’occasion d’encourager le partage des connaissances entre les ONAD en Europe et renforcer ainsi progressivement les capacités à travers le continent. Mais il y le revers de la médaille : les divergences entre les programmes antidopage très solides dans certains pays et ceux moins avancés dans d’autres. En Europe, les Comités Olympiques Européens ont un rôle à jouer puisqu’ils sont à la tête d’une importante organisation de grandes manifestations sportives de différents niveaux et classes d’âge. Ces compétitions qui représentent souvent pour les athlètes un premier pas vers le niveau élite devraient donc pouvoir aussi contribuer au renforcement de leurs connaissances et de leur prise de conscience en matière d’antidopage. Les CNO sont essentiels pour guider les athlètes vers de hautes performances. Ils se doivent de sensibiliser les athlètes et de s’assurer que leurs premiers contacts avec l’antidopage ne se fasse pas par le biais de tests, mais plutôt par une éducation de qualité axée sur les valeurs.
Q: La deuxième analyse des échantillons s’est avérée un succès. Dans quelle mesure l’AMA peut-elle poursuivre ce programme?
R: L’analyse rétroactive des échantillons est un élément extrêmement important du système antidopage et elle donne de vrais résultats. Il s’agit de rendre justice aux athlètes propres. Le Code mondial antidopage permet d’ouvrir une procédure disciplinaire dans un délai de 10 ans à compter de la date de la violation des règles antidopage. Ainsi, à mesure que la science progresse, la ré-analyse est un moyen puissant de faire progresser le sport propre et si les athlètes choisissent de tricher, ils ne doivent pas pouvoir rester tranquilles pendant une décennie. Je pense que la ré-analyse a un effet dissuasif sur ceux qui pourraient envisager de tricher et l’AMA a l’intention de poursuivre cette initiative et de l’étendre dans la mesure du possible.
Q: Quels programmes d’éducation des athlètes avez-vous conçus pour les prochaines grandes manifestions sportives?
R: Les initiatives d’éducation fondées sur les valeurs sont essentielles à la protection des athlètes propres. L’éducation est aujourd’hui l’une de nos meilleures armes dans la bataille pour un sport propre et nous devons nous assurer que toutes les organisations antidopage, ainsi que les gouvernements, y investissent en priorité. Alors que l’AMA s’efforce de bâtir un monde de sport propre, le pouvoir de l’éducation dans la réussite de cette mission ne cesse de se renforcer.
Le rôle de l’éducation est de protéger l’esprit du sport contre toute atteinte, dans le but d’empêcher l’utilisation intentionnelle ou par inadvertance de substances et de méthodes interdites. Nous avons fait des progrès importants pour l’éducation au sport propre avec l’adoption, l’année dernière, de la nouvelle Norme internationale pour l’éducation et la création d’un département de l’éducation autonome de l’AMA qui propose de nouvelles initiatives, rehausse le profil de l’éducation et renforce le rôle de la recherche scientifique en matière d’’antidopage.
Tous les outils éducatifs de l’AMA peuvent être retrouvés sur son site Web.
Q: Comment progressent les pourparlers avec le gouvernement américain après sa menace de retirer le financement? Comment l’AMA a-t-elle réagi à cette menace?
R: Le monde de l’antidopage a besoin d’unité en ce moment, pas de division. Je me concentre entièrement sur le bien-être des athlètes et, pour eux, nous devons continuer à protéger le système antidopage qui a servi des athlètes propres. L’équité pour les athlètes du monde entier reste ma priorité numéro un. Je ne laisserai jamais les athlètesdevenir les otages de jeux politiques.
C’est un moment critique pour ceux d’entre nous qui aiment le sport et veulent le protéger de tous ceux qui tenteraient de tromper le système. Je suis toujours prêt à travailler avec le gouvernement américain à ce sujet et j’espère que les États-Unis continueront de contribuer au programme mondial de lutte contre le dopage. Ce que nos partenaires nous disent, c’est que cet épisode a mis en évidence le besoin de plus d’engagement et de responsabilité au sein de la communauté du sport propre. La seule façon de préserver le système mondial est que toutes les personnes impliquées soient unies et travaillent ensemble pour le rendre plus fort.